Paroles d'experts : Agathe Nys répond à nos questions
Agathe Nys est licenciée en histoire et professeur dans l’enseignement secondaire supérieur. Collaboratrice du professeur Jean-Louis Jadoulle, elle est formatrice et maitre de stage en didactique de l’histoire pour l’Université Catholique de Louvain. Elle est co-auteur des manuels « Construire l’histoire » .
Dans les faits, l’histoire semble le parent pauvre de l’école fondamentale : les enseignants y consacrent peu de temps et semblent plutôt mal à l’aise face à l’enseignement de cette discipline. A votre avis, comment peut-on expliquer cette situation ?

La réponse est en partie donnée avec la formulation de la deuxième question …
Elle peut s’expliquer du point de vue de l’enfant comme de celle de l’enseignant :

Du point de vue de l’enfant : Le malaise vis-à-vis de cette discipline peut s’expliquer en raison de l’évolution de la société. De plus en plus, l’individu vit dans l’immédiateté, dans le temps très court (génération du zapping) où la perception du temps, de la durée, de l’évolution n’arrête pas l’intérêt de l’enfant. C’est également une société fort matérialiste tournée vers les innovations et non vers le passé… Les enfants sont donc attirés par multiples domaines plutôt que par la « chose historique ». Or, l’histoire demande une perception du temps, chose abstraite, qui ne se donne pas facilement… Cette discipline paraît donc fort éloignée de la réalité de l’enfant du fondamental. Mais est-ce par ce que la discipline historique est à ce niveau difficile qu’on ne peut lui susciter déjà une curiosité pour ce monde du passé, lui faire découvrir un intérêt dans son quotidien ?

Du point de vue de l’enseignant : sachant qu’il doit aborder « toutes » matières avec les enfants, il n’a pas une formation spécifique en histoire. Or, cette science humaine impose une méthodologie spécifique et rigoureuse, qui n’est pas toujours très accessible. Elle impose également un bagage de connaissances que les enseignants du fondamental n’ont pas nécessairement. Pour pallier ce problème, ces mêmes enseignants n’ont peut-être pas les manuels adéquats pour préparer des leçons d’éveil, bien outillés en contenus comme en documentation.
Une autre difficulté pour l’enseignant pourrait également venir de son public : dans certaines écoles, le
public multiculturel pose la difficulté de savoir « quelle histoire » donner … Cette complexité peut rebuter certains enseignants…

L’histoire est étrangère aux enfants : elle ne fait pas vraiment partie de leur univers proche ; c’est une donnée culturelle à construire, le plus souvent abstraite. Comment justifier, à leurs yeux, la nécessité et l’intérêt d’apprendre le passé ?

Tout enfant, dans la construction de sa personne, a besoin de repères et de valeurs. L’intérêt majeur de l’approche historique peut se situer à ces niveaux :
Des
repères : Tout comme l’enfant a besoin de connaître ses repères familiaux, il doit également avoir des repères qui le structurent dans l’espace (il fait partie d’une ville, d’un pays, d’une société) et dans le temps (société contemporaine en bouleversement suffisant pour ressentir le besoin de repères…). Dans notre société multiculturelle, l’enfant doit pouvoir ainsi se situer pour se sentir « bien » face à l’autre. Il peut s’agir à ce niveau d’une éducation à l’altérité, à la tolérance…
Des
valeurs : à l’école fondamentale sont posés les premiers jalons en terme de valeurs à défendre ou à rejeter. Mais pourquoi est-ce bien de faire ceci ? Pourquoi punir dans un autre cas ? Ces valeurs sont le résultat d’une construction progressive de notre société au fil du temps. L’approche historique permet de comprendre pourquoi telle chose est importante, pourquoi on peut redouter telle autre, pourquoi il faut se souvenir d’un événement … La réponse à ces questions construit l’enfant dans son schéma de valeurs et lui permet surtout d’en comprendre leur importance.
Pour que l’histoire puisse apporter quelque chose à l’enfant, il faut lier les découvertes faites à lui, pour qu’il sente combien il « vient » de ces évolutions successives…

Selon vous, quels sont les savoirs historiques minima que tout enfant devrait maîtriser en quittant l’école fondamentale ?

La perception du temps, chose éminemment abstraite… La chose doit donc se faire progressivement à mon sens. Les enfants n’ont conscience que d’un temps « proche ». Le travail pourrait commencer à ce niveau pour découvrir cette réalité (générations connues dans la famille, et découvertes des générations plus anciennes, et par là, découverte d’une évolution de la société ; un travail peut commencer…). Placer ces repères encore proches d’eux sur une ligne du temps à l’échelle permet alors de découvrir des réalités bien plus anciennes, totalement extérieures à eux, qui s’inscrivent dans une durée qui prend progressivement de l’épaisseur… Pouvoir ainsi « placer » un « Moyen Age » ou « les Romains » par rapport au temps court de l’enfant lui permet de mesurer le temps qui le sépare de lui. Dégager de la découverte de ces « mondes anciens » ce qu’il nous en reste (par l’affirmative ou par l’opposition….) permet de construire les repères dont je parlais plus haut.

Aborder l’histoire à l’école primaire, cela ne devrait-il pas se faire principalement par le biais de l’histoire locale, plus proche et plus accessible ?

L’histoire étant une discipline très abstraite (par définition, le passé n’est plus et ne se donne pas facilement à voir avec les traces qu’il laisse), l’enfant du fondamental ressentira une difficulté à plonger dans ce niveau de réflexion. Commencer par la découverte d’un monde qui lui est familier, est certainement un choix judicieux. Cela permet de rendre plus concret des réalités à découvrir, fort abstraites pour eux car tellement éloignées de leur quotidien.

La ligne du temps (ou frise historique) semble l’outil incontournable pour enseigner l’histoire. Qu’en pensez-vous ?

Par rapport à l’objectif que l’on se donne (la perception du temps), je le crois. Comment faire découvrir la notion d’un « temps long » totalement extérieur à tout ce qu’ils connaissent sans passer par ce regard « relatif » possible avec la ligne du temps ? Pour pouvoir leur faire dégager l’idée d’évolution, de progrès, de changement, cette visualisation est un merveilleux outil.

Contrairement aux domaines de l’éveil scientifique ou géographique, où l’on a davantage matière à expérimenter avec les élèves, les leçons d’histoire se basent le plus souvent sur des lectures de textes. Finalement, les difficultés rencontrées par les élèves en histoire ne seraient-elles pas d’abord des difficultés en lecture ?

La grande difficulté de départ dans la discipline historique est que c’est une discipline qui se construit, sur base de traces. Plonger les élèves dans un vécu historique ne peut se faire que par le biais de sources historiques qui ne sont pas toujours faciles d’accès. Une réflexion doit alors être menée à ce niveau par l’enseignant. Quel est l’accessibilité de tel ou tel document ? S’il est trop difficile, faut-il nécessairement l’écarter ? Ne peut-on pas proposer quelque chose avant pour préparer les élèves à « entrer » dans ce doc. ?
Ex. Pourquoi ne pas commencer par un type de
document plus « parlant », proche de leur intérêt (bande dessinée, extrait de film,) pour les plonger dans la démarche de devoir « se représenter » une époque. Ensuite seulement, confronter ces documents avec des documents historiques, plus difficiles d’accès. Ici encore, une gradation peut être retenue : des documents iconographiques d’abord (même si le décodage n’est pas toujours facile mais un premier niveau de lecture est possible), le document textuel ensuite (sachant que l’enseignant peut très bien se permettre d’adapter le texte pour rendre le vocabulaire plus accessible). Les premiers repères dégagés par leur première représentation leur permet alors plus facilement d’entrer dans le texte, qui est, lui aussi, plus abstrait qu’une image….

Que pensez-vous des manuels en histoire ? Sont-ils de bons outils ? A quelle(s) condition(s) ?

La discipline historique se construisant à partir des traces que le passé laisse, l’enseignant a besoin de manuels qui regorgent de documents. Et en priorité, des traces « concrètes », qui peuvent être complétées par d’autres plus complexes, qui permettront alors la nuance si l’enfant suit.
Le manuel doit également donner les repères dans l’espace et le temps dont je parlais à la question 2. Des jeux de cartes et de frises chronologiques, simples, complétées ou à compléter peuvent assister l’enseignant à poser les grands jalons du « temps long ».

Selon vous, peut-on dégager une progression logique dans l’enseignement de l’histoire à l’école fondamentale ? Si oui, cette progression doit-elle être chronologique (en abordant, par exemple, les périodes historiques les unes à la suite des autres dans l’ordre) ?

Au niveau de l’école fondamentale, la progression logique ne s’impose pas à mon sens. Puisque la grande difficulté est le niveau d’abstraction de la discipline, découvrir à partir d’une réalité concrète s’impose pour pouvoir « emmener » l’enfant vers l’inconnu. Il faut donc pouvoir profiter de toutes les occasions qui se présentent dans le quotidien de l’enfant pour le faire entrer dans l’épaisseur du temps : une date où l’on fête une événement, une exposition temporaire, une visite d’un site, un objet qu’un élève rapportera en classe, etc. A partir du moment où la découverte faite autour de cette « occasion » est bien située sur l’axe chronologique pour que l’enfant le situe par rapport à lui mais également par rapport à d’autres périodes déjà abordées, cela ne pose aucune difficulté et permet de répondre bien aux objectifs que l’on se donne.

Beaucoup d’auteurs évoquent la dimension « citoyenne » de l’enseignement de l’histoire. Quels sont les savoirs historiques nécessaires au citoyen ?
Cette intention n’est-elle pas trop ambitieuse pour des enfants de l’école fondamentale ? Sont-ils suffisamment mûrs pour développer un esprit critique dans le domaine de l’histoire ?

Je parlais dans la question 2 des valeurs qui pouvaient se construire au travers d’une approche historique. Ce système de valeurs permettra effectivement de développer une « dimension citoyenne » chez l’enfant. Si on reste dans des notions que les enfants « vivent », « ressentent », comme les valeurs de « liberté », « justice », « égalité », etc. l’enfant du fondamental est tout à fait capable de les comprendre, de découvrir que ces valeurs n’ont pas toujours été des acquis dans l’histoire et qu’elles sont donc précieuses car on s’est battu pour les avoir. Comprendre ceci est déjà développer un « esprit citoyen » !

Qu’est-ce qu’être un « bon professeur d’histoire » ? Si vous ne deviez donner qu’un seul conseil aux enseignants maternels et primaires, que leur proposeriez-vous ?

Etre concret dans les découvertes (rendre l’histoire accessible pour des liens constants avec ce qu’ils vivent, ce qu’ils sont…)
Etre passionné (car entrer dans une réalité abstraite est chose difficile ; si l’enfant sent cette difficulté, il l’éprouvera aussi…Par contre, si l’enseignant y montre un grand intérêt, l’enfant du fondamental s’y penchera plus facilement.

Agathe Nys,
Le 16/10/2009